Marie Claude Varaillas

Service public de l’eau en Guadeloupe

Temps de lecture : 3 minutes

Mercredi 10 mars 2021, le Sénat a examiné la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 janvier dernier.

J’intervenais au nom du groupe CRCE pour rappeler que l’eau est un bien commun universel, reconnu dans notre code de l’environnement et par l’ONU comme un droit fondamental essentiel au plein exercice du droit à la vie. Ces mots ne peuvent se cantonner au domaine de la théorie et je le défendrais prochainement dans une proposition de loi introduisant la gratuité des premiers litres d’eau:

« C’est simple, soit l’eau n’arrive jamais dans nos robinets, soit elle arrive mais n’est pas potable ». Ces mots du président du Comité de défense des usagers de l’eau en Guadeloupe résument la situation dramatique qui s’y déroule.

Dans notre République, pour certains “ l’eau est un accident ». La Guadeloupe s’est habituée aux défaillances du service public de l’eau dont la vétusté du réseau alimente des coupures quotidiennes, aléatoires ou planifiées dans le système des “ tours d’eau ” de 12 à 24 heures chaque semaine.

On compte jusqu’à 60% de pertes d’eau, et ces fuites poussent à de la surproduction qui porte atteinte à la biodiversité.

Seules 5 stations d’assainissement sur les 18 plus importantes sont conformes aux normes. Des rejets toxiques polluent l’eau et menacent la santé des habitants. Rappelons que 90% des Guadeloupéens ont été empoisonnés par le chlordécone et que la plainte pour mise en danger d’autrui est menacée de prescription, alors que la toxicité est connue depuis les années 60’!

A cela s’ajoute un prix du service de l’eau qui est le plus élevé de France, 6,17€ au mètre cube contre 3,58€ dans la région PACA. Ce cercle vicieux de services défaillants, impliquant des coûts plus élevés, mais insuffisants pour remédier aux problèmes de fond, suscite un ras-le-bol légitime de la population. 

Ce tableau s’obscurcit davantage en période de pandémie, où le plus basique des gestes barrières demande un accès à l’eau.

La solution ici proposée impose une nouvelle gouvernance face aux échecs des négociations entre élus locaux. Le législateur viendrait créer un syndicat, en rendant l’adhésion des collectivités obligatoire.

Nous partageons l’ambition de remettre sur pieds un service public en faillite et reconnaissons les améliorations apportées pour renforcer le rôle des associations d’usagers.

Mais nous regrettons le choix d’imposer cette organisation, alors que cela devrait se faire sans passer par la loi. Le consensus local des collectivités et une concertation citoyenne sont essentiels au bon fonctionnement et à la transparence de la structure. Cette intrusion dans l’exercice des compétences peut être vu comme un ultimatum par les Guadeloupéens. Nous défendons une conception volontariste des transferts de compétences, en accord avec la libre administration des collectivités.

Nous craignons surtout que ce cadre législatif ne soit qu’une coquille vide qui ne réponde ni aux défaillances du système de distribution de l’eau, ni aux questions soulevées par la création d’un nouveau syndicat.

L’enjeu de la dette insoutenable des EPCI n’est pas réglé puisque le syndicat se voit transférer la seule dette bancaire, qu’en est-il des dettes fournisseurs ?

La remise en état des réseaux de distribution est évaluée à près d’un milliard d’euros. Tant qu’à s’introduire dans la gestion locale, le Gouvernement aurait pu apporter un soutien financier pour réaliser ces investissements.

Le texte pose un cadre institutionnel sans préciser des garanties.

Quel avenir pour les salaires et emplois des salariés en grève ? Et allons-nous risquer que des intérêts privés s’emparent de ce service public, alors qu’une régie permettrait de faire baisser le prix de l’eau ? Rappelons que la gestion de Veolia a été désastreuse jusqu’à son départ pour cause de déficit ! Les usagers ne peuvent pas payer cet héritage !

Si notre groupe en partage l’objectif, nous ne pensons pas que cette proposition de loi trop verticale et sans garanties soit la bonne solution. En l’état, nous nous abstiendrons donc sur ce texte.


Retrouvez mon intervention lors de la Commission mixte paritaire du jeudi 8 avril où le Sénat a adopté la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe, pour laquelle le groupe CRCE s’est abstenu:

Cette proposition de loi entend apporter une solution pragmatique au problème persistant de l’accès des Guadeloupéens à l’eau potable, en procédant à l’unification de la gestion des services publics d’eau et d’assainissement.

Si la forme est là, le fond nous questionne. Nous estimons que cette structure imposée d’en haut aux Guadeloupéens demeure très contraignante et l’obligation pour l’ensemble des communautés d’agglomérations d’y adhérer en est emblématique. Une telle dépossession des compétences de ces EPCI peut être interprétée comme une ingérence importante de l’Etat dans la libre administration des collectivités.

Et quid des usagers? Sur le terrain, le comité de défense des usagers de l’eau de la Guadeloupe ne se satisfait pas du texte. Il a récemment demandé un référendum sur le sujet et souhaite que  les usagers soient mieux impliqués dans le processus de gouvernance de l’eau. Ces réclamations portent sur le montant excessif de factures envoyées aux usagers, l’instauration d’un tarif équitable pour tous et l’arrêt des poursuites judiciaires alors que les services sont défaillants.

La proposition de loi sera définitivement adoptée si l’Assemblée nationale adopte également les conclusions de la commission mixte paritaire le 15 avril prochain.