Marie Claude Varaillas

PPL – “Respect de la propriété immobilière contre de squat”

Temps de lecture : 3 minutes

Retrouvez mon intervention lors de la séance publique du 19 Janvier 2021, pour expliquer le vote du groupe CRCE contre la proposition de loi «Respect de la propriété immobilière contre le squat » :

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans surprise, les sénateurs et sénatrices communistes du groupe CRCE s’opposeront à cette proposition de loi.

Soyons clairs : le droit de propriété doit être respecté. Il s’agit d’un principe constitutionnel. Nul ne peut s’installer chez autrui à l’encontre de sa volonté et personne ici ne le conteste. Seule la puissance publique, lorsque l’intérêt général l’exige, peut décider de faire primer d’autres droits constitutionnels, aux dépens du droit de propriété, en fixant les conditions de ces aménagements et la juste indemnité pour les propriétaires. C’est notamment le cas lors de la mise en œuvre de la trêve hivernale et du droit de réquisition. En la matière, la réalité qui se dresse au-delà des questions juridiques, c’est celle du mal-logement dans notre pays. Il faut le savoir : en France, 902 000 personnes n’ont toujours pas de logement, 643 000 personnes sont hébergées, 91 000 vivent dans des abris de fortune, 25 000 dorment à l’hôtel.

Depuis la crise sanitaire, 300 000 personnes sont à la rue.

Le Président Macron avait pourtant promis, en 2017, que cette situation cesserait. Dans ces conditions, il nous semble urgent et prioritaire d’agir enfin en ce sens, faute de quoi le renforcement de l’arsenal répressif sera sans effet ou presque.

Comment opposer le droit à ceux dont les droits premiers sont bafoués, notamment le droit d’avoir un toit ? La nécessité est malheureusement plus forte que la loi et ce que l’on qualifie de délit perdurera, non pas par vice, mais par nécessité vitale. Nous devons nous interroger collectivement sur ce que cette situation exprime. Au-delà des cas individuels douloureux, il s’agit d’une réalité politique et sociale. Pour cette raison, nous considérons que cette proposition de loi n’est pas opportune : elle ne traite que l’aspect répressif indépendamment du problème social, je dirai même éthique. Ainsi, elle punit plus lourdement le squat du domicile, lequel est déjà pénalement sanctionné. Par ailleurs, elle crée un nouveau délit autonome, élargi à l’occupation de tout immeuble. Cette disposition permet la constitution d’un nouveau délit légalisant des expulsions actuellement illégales et reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Cette option avait été écartée de la loi ASAP à la suite d’une forte mobilisation des associations du mal-logement : elle fait son retour dans cette proposition de loi, avec un spectre très large, puisque tout immeuble est visé, donc les logements vacants ainsi que les bureaux vacants et les biens inhabitables, tels les garages. Certes, la commission a réduit la voilure : si tous les immeubles sont touchés par la nouvelle infraction pénale, seuls les logements vacants seraient désormais inclus dans la procédure accélérée ; mais nous parlons quand même de 3 millions de logements. Cette disposition nous semble inacceptable. Il convient au contraire de sanctionner la rétention de logement, qui, dans le cadre d’un marché ultratendu, fait le jeu de la spéculation.

Cette proposition de loi va plus loin. Elle permet d’attaquer des associations qui revendiquent l’occupation des immeubles vides comme la conséquence du non-respect du droit au logement. Il s’agit pourtant d’un acte politique et citoyen dénonçant le fait que l’État se dérobe à ses responsabilités. Initialement, la proposition de loi allait jusqu’à fragiliser pénalement les personnes menacées d’expulsion par de nouvelles infractions pénales : un comble ! En outre, en excluant du bénéfice du DALO ces personnes durant trois années, le présent texte traduit une volonté ultrarépressive. Ce choix semble totalement contre-productif, car parfois ces mêmes personnes ont engagé toutes les démarches en vue de leur relogement. L’État peut même avoir été condamné à les reloger au titre du DALO. C’est donc un contresens manifeste et une violation directe du droit au logement, pourtant constitutionnellement reconnu.

Enfin, comme le rappelaient les associations signataires de la tribune parue dans le journal Libération lors de l’examen du projet de loi ASAP, l’urgence sociale est bien de résoudre la crise du logement. L’urgence est bien de construire des logements sociaux, a fortiori dans les communes qui ne respectent pas la loi SRU (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), de rétablir les APL – nous avons justement défendu une proposition de loi en ce sens –, de taxer les profits immobiliers, de financer la résorption des bidonvilles et le droit à la domiciliation.


Mes chers collègues, traitons le problème au lieu de l’aggraver, en s’appuyant habilement sur l’émotion que suscitent des situations particulières pour détricoter toutes les protections collectives.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte, que nous considérons comme démagogique et populiste. »