Cette proposition de résolution a pour ambition l’élaboration d’un Agenda rural européen. Si elle part de constats que nous partageons, nous regrettons qu’elle se refuse à avancer une perspective de changement des politiques publiques mises en place dans les campagnes européennes.
Et en effet, il existe de criantes et graves inégalités entre ruraux et urbains que ce soit en termes de mobilité, d’accès aux soins, aux services publics ou aux infrastructures numériques. Entre zone rurale et zone urbaine, les écarts dans l’espérance de vie se creusent depuis plus de 30 ans — un Français vivant en milieu hyper urbain vit en moyenne deux ans de plus qu’un hyper rural, alors que l’écart était de trois mois en 1990.
Cette résolution rappelle pourtant que 92 % des Français trouvent le monde rural attractif. Et il est vrai que nos campagnes sont belles, des paysages modelés par l’agriculture et par la conservation d’un patrimoine exceptionnel. Mais cela ne nous fait pas oublier les graves problèmes de chômage, de désertification, le sentiment d’abandon, de délitement du lien social qui a constitué le terreau d’ancrage du mouvement des gilets jaunes appelant à plus d’égalité et de justice…
Un point positif, néanmoins, consiste dans la volonté exprimée d’une meilleure prise en compte de la situation particulière des femmes en milieu rural. Je vous invite à ce titre à consulter le récent rapport « Femmes et ruralité » de la délégation aux droits des femmes du Sénat.
Dans la prolongation de ce diagnostic, la proposition de résolution formule 3 propositions :
– Elle invite la Commission européenne à inclure des dispositions de prise en compte des spécificités de ces zones tout en garantissant un financement via le Fonds structurel et d’investissement européens
– Elle demande que la ruralité bénéficie d’une part de crédit correspondant à son poids démographique
– Enfin, elle invite le gouvernement à porter l’Agenda rural européen à l’occasion de la présidence française.
Quelques mesures concrètes sont également évoquées, et notamment l’accès à « un socle de services universels » à moins de 30 minutes de trajet via un plan de soutien au commerce rural et la mise en place d’une politique de logement.
Cette mesure aurait pu constituer une base de discussion intéressante si elle n’était pas absente de la résolution elle-même puisque formulée uniquement dans l’exposé des motifs. De fait, la résolution entière n’aborde aucune proposition concrète. Pire, elle passe sous silence, les causes profondes de ces inégalités.
Je pense ici aux ravages des dogmes de la concurrence libre et non faussée, à l’obsession de lutte contre les monopoles publics, aux impératifs de réduction de la dépense publique qui ont été imposés au fil des directives européennes et appliqués avec zèle par les gouvernements successifs. Les politiques européennes ont ainsi de fait interdit toute politique de production locale et de circuit court.
La concurrence entre les territoires s’est exprimée au travers les lois MAPTAM et NOTRE qui ont participé à fragiliser nos territoires ruraux accélérant leur désertification. Le ruissellement attendu n’a pas eu lieu.La métropolisation, conjuguée à la fermeture des services publics, a freiné leur développement.
Ce n’est pas l’agenda rural présenté en 2019 qui changera la donne. L’ANCT peine à trouver sa place faute de moyen. L’ouverture des maisons France service n’est qu’un pis-aller face à la fermeture des services publics de plein exercice : poste, gare, gendarmerie, hôpitaux, centre des impôts …
Le monde agricole reste, après les deux lois EGALIM, le parent pauvre de la répartition des richesses dans le secteur agroalimentaire.
Un problème particulièrement important concerne la santé. Même si des efforts très importants sont faits par les élus avec l’émergence des maisons et centres de santé, de plus en plus de familles n’ont plus à ce jour de médecin traitant.
Les ZRR prolongées jusqu’en 2022 devront être pérennisées afin de faciliter l’installation d’entreprises et de médecins.
Le monde rural est en souffrance alors qu’il a de formidables atouts notamment pour accompagner la transition écologique.
De ce constat, tant européen que national, découle la nécessité non pas de mise en œuvre d’une politique sectorielle de saupoudrage au travers un nouvel agenda, mais plus sérieusement d’une remise en cause des fondements même des politiques publiques à tous les échelons.
Nous demandons aussi la sortie de la concurrence de certains secteurs économiques essentiels à la qualité de vie dans les campagnes et à leur développement. Nous souhaitons l’abrogation des lois de libéralisation et le retour de services publics sous maîtrise publique et avec des opérateurs publics.
C’est à cela qu’il faut s’atteler au niveau européen pour revenir sur les directives qui nous enferment dans des carcans libéraux qui condamnent nos campagnes sur l’autel de la rentabilité économique.
Faute de répondre à ces enjeux, cet agenda rural européen risque de se révéler inopérant en tentant de vider l’océan des inégalités territoriales avec une petite cuillère. Pour ces raisons, le groupe CRCE s’est abstenu.